Idées et créations de livres
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| | Textes du 1er CIF ! | |
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Jaina Administrateur
Nombre de messages : 2219 Age : 35 Date d'inscription : 26/06/2008
| Sujet: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:25 | |
| Bonjour,
Voici ci-dessous les textes reçus pour le Concours Inter Forum. Je remercie d'avance tous les participants ! Je rappelle que les délibérations du Jury tomberont le 15 avril. Sur ce, bonne lecture !*
(edit : vu la longueur des textes je n'ai pu les poster dans leur intégrité dans le même message...)
Dernière édition par Jaina le Lun 16 Mar 2009 - 8:33, édité 1 fois | |
| | | Jaina Administrateur
Nombre de messages : 2219 Age : 35 Date d'inscription : 26/06/2008
| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:26 | |
| Texte 1 : L'histoire du vieux dans l'histoire (partie1)- Spoiler:
L’histoire du vieux dans l’histoire
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonnait avec douleur dans son esprit ». Toute la journée Moïta l’entendait et, la nuit, alors qu’il pensait sombrer dans un sommeil paisible, la voix revenait, insistait : « Moïta, tu me le dois ! Tu le peux ! » Qu’est-ce qu’il pouvait, hein ? Des fois, il avait envie de tuer le vieux, d’en finir avec sa voix qui le harcelait, de terminer le travail commencé il y avait maintenant dix ans. Mais, il savait bien que la mort du vieux ne changerait rien. Vivant ou enterré sous six pieds de terre, il préférerait remonter du fond des enfers, ou abandonner le village des ombres où veillaient les ancêtres, plutôt que de renoncer à son idée ! Et toujours la même antienne reviendrait sur sa langue : « Au nom des nôtres, de notre souffrance, fais-le ! Tu connais le moyen, tu le dois… ». Pauvre vieux ! Il avait presque tout perdu sauf l’habitude des mots et assez de cervelle dans sa calebasse fêlée pour les servir tout chauds de douleur à Moïta.. Et Moïta serrait les poings, partagé entre le chagrin, la compassion et une colère impuissante.
Le soleil se levait et la ville commençait à peine à remuer les orteils dans le tréfonds des ruelles quand le vieux poussait la porte de la concession. Le chien n’aboyait même plus ! Le bonhomme passait ses doigts secs et noueux sur la tête pelée du chien et celui-ci remuait la queue de contentement. Puis, le vieux entrait dans la case, s’asseyait et attendait. Le gamin qui vivait chez Moïta lui apportait du thé déjà sucré et du pain. Mais cela ne suffisait pas au vieux. Il réclamait encore du sucre. Le gamin finissait par poser, non sans réticence, le pot à moitié plein devant lui. Les vieilles mains squelettiques tremblaient en plongeant la cuillère dans le sucre, cinq, six fois, plus encore. Il remuait ensuite le breuvage sirupeux, attentif à n’en pas perdre une goutte. Après, il y trempait le pain et le portait avec précaution à sa bouche édentée. On voyait ses lèvres rentrées dans les gencives qui remuaient, patiemment, longtemps et son cou qui se gonflait quand il déglutissait chaque bouchée avec une sorte de concentration satisfaite. C’était là son seul repas de la journée. Moïta le savait qui parfois lui faisait porter par le gamin, à l’autre bout de la ville où l’hébergeait une vieille, un reste de bouillie de riz ou de mil avec une sauce où les morceaux de viande s’étaient bien ramollis à la cuisson. Quand il avait fini de déjeuner, le vieux restait vissé sur le fauteuil défoncé. Des visiteurs entraient ensuite, le saluaient et, parlaient entre eux sans que le vieux jamais n’intervienne. Lui, il attendait seulement Moïta. Celui-ci finissait par arriver. Il discutait un moment avec les visiteurs et quand ceux ci se retiraient, le vieux le fixait de ses yeux mouillés, jaunis, injectés de sang et disait de sa voix cassée de saoulard dans laquelle les mots au départ s’embrouillaient pour s’enfiler au bout du compte, bien huilées par l’habitude, en un chapelet de litanies : « Moïta, tu dois le faire ! Je t ‘aiderai… tu me dois bien ça, tu le peux…» Et chaque fois, Moïta haussait les épaules et répondait avec lassitude : -Non, grand-père, je peux pas ! - Et pourquoi, tu peux pas ? Moïta haussait le ton : - Parce que je ne veux plus d’ennuis avec ces gens-là ! A ressasser tout ce merdier de passé, on finira tous les deux sous une rafale de kalachs ! -Tu sais comment on appelle ça, ton manque de bonne volonté ? - Non ! Et j’veux pas le savoir ! - Tu le sais pourtant ! C’est de la lâcheté ! - Peut-être ! Mais fous-moi la paix ! Ta vieille calebasse est décidemment plus dure que le bois de ta jambe ! - Elle n’a aucun mal ! ricanait le vieux. - Je finirai par fermer la porte ! - T’oserais pas ! - Fous le camp grand-père avant que je m’énerve tout à fait ! Et le vieux s’en allait en traînant son pilon dont le bout s’enfonçait dans le sable ce qui accentuait sa démarche bancale et saccadée dont les gamins se moquaient et aussi certains qu’étaient déjà grands, les mal embouchés, les sans éducation qu’avaient même plus le respect des vieux. Il allait ainsi, clopin-clopant, avec son déhanchement grotesque, jusqu’au bar du coin où il s’asseyait sur un banc branlant pour avaler des calebasses de bière de mil, sans parler, juste en éructant de temps en temps, buté, absent. Il ne repartait que le soir, quand les ombres qui s’allongent annoncent la fin du jour, tout flageolant et boitant plus fort. A l’aurore du matin suivant, il entrait de nouveau chez Moïta.
S’il s’amorçait toujours de la même façon, leur étrange dialogue changeait parfois selon l’humeur du jour. Il arrivait ainsi que Moïta objectât : -Grand-père, tu sais bien que je n’ai pas la même instruction que toi, je ne sais pas dire les choses correctement, j’écris avec des fautes ! Pourquoi que tu t’y mets pas toi-même ? Le vieux prenait une minute de réflexion avant de placer devant les yeux de Moïta ses deux mains maigres et déformées, agitées de tremblements. -Vois ces mains, regarde les bien et dis-moi si elles sont encore capables de tenir un crayon ? Et je te répète que je t’aiderai ! - Si tu picolais un peu moins grand-père, tu pourrais peut-être te débrouiller tout seul. - Conneries ! Et dire que c’est toi qui me les sors ! Moïtta faisait semblant de rire : - Ben, grand-père, tu te rends compte par toi-même que je débloque, que je suis pas capable ! Tu m’as assez répété que je n’étais qu’un âne de la pire espèce ! Tu te souviens grand-père ? Il voulait blaguer, mais le cœur n’y était pas. Une grande pitié l’envahissait en regardant cette pauvre loque qu’était devenu le vieux. Autrefois, il avait été quelqu’un, un maître d’école respecté, qu’hésitait pas à chicoter les paresseux ou les récalcitrants à ses enseignements. Beaucoup avaient fait ensuite de hautes études et asseyaient maintenant leurs gros culs sur les sièges rembourrés de salons dorés ou de leurs grosses voitures climatisées. Quelques-uns étaient même des ministres ! On les entendait parler à la radio, on les voyait sur les écrans des télévisions, satisfaits d’eux et ventrus dans leurs costumes scintillants de décorations, la peau luisante de bien être et de santé. Avec ça ils faisaient de beaux discours, pleins à ras bord de ces grands mots que le vieux leur avait appris quand ils étaient petits. Leurs cervelles, des calebasses trouées qui fuyaient par le fond quand on y ajoutait du nouveau ! C’est pourquoi ils avaient oublié le vieux. Personne ne s’occupait de lui, à part Moïta, dans la mesure de ses moyens qu’étaient minimes, et une vieille aussi qui l’abritait sous son toit pourri, si on peut parler d’abri quand les tôles pissent l’eau dès la première pluie. Misère et associés, voilà ce qu’ils étaient. Mais Moïta se disait qu’à entendre toujours cette voix implorante du vieux, il finirait par devenir fou, ou ferait un mauvais geste, l’un de ceux qu’on regrette, qui vous poursuit le reste de votre vie. Alors, un jour qu’était pas fait comme les autres, il se leva à l’aube et c’est lui qui attendit le vieux, assis tout seul sur l’un des quatre fauteuils bancals qui meublaient la case. Il n’eut pas longtemps à attendre le clopinement du vieux avec ce bruit rythmé et sourd qui l’accompagnait : touc, touc, à cause de sa jambe de bois. Le vieux s’arrêta net sur le seuil de la case, les yeux écarquillés à la vue de Moîta, immobile dans la pénombre. -T’es pas malade au moins, demanda-t-il d’une voix inquiète. - Non, grand-père, je t’attendais. - Ah ? fit le vieux que l’étonnement laissait cloué sur place. - Ben entre, j’ai quelque chose pour toi. Le vieux avança. - Regarde ce que j’ai acheté hier, dit alors Moïta en lui montrant un cahier d’écolier et un crayon bille. Tout ce qu’il faut pour écrire ton histoire ! C’est bien ce que tu veux ? Le vieux, interloqué, ne répondit pas. - Tu m’as assez emmerdé avec ça ! Tu devrais être content aujourd’hui. - T’aurais dû me prévenir hier, souffla le vieux, je m’y serais préparé. - Comment préparé ? Voilà des mois que tu me casses la tête : « Fais le, tu sais comment, t’en as les moyens, je t’aiderai et maintenant que tout est là sous la main tu prétends qu’il fallait te préparer ? - Bon, ça va ! Je suis prêt. On peut commencer. - Bien ! Et par où on commence ? Par le village brûlé ? Par les récoltes et le bétail volés ? Par ta femme et ta fille violées, par ton fils de dix ans bastonné à mort, par ton aîné tué d’une balle en pleine tête, ou avec l’arrivée des combattants en treillis, kalachnikovs sur l’épaule, gourdins et grenades en mains ? Ou encore, si on veut remonter plus loin, par la prison-piscine où la garde présidentielle t’avait enfermé, ligoté, passé au fil électrique pour finalement te prendre ta jambe et tes dents ? Le vieux se tut. Un trop plein de larmes déborda de ses yeux sans qu’il y fît attention. Une nouvelle fois, Moïta demanda : - Bon, tu me dis par où on commence, oui ou non ? - Je ne sais pas, murmura le vieux de cette voix blême qui hantait Moïta depuis des jours et des nuits. Il y a tellement de choses à dire, puis c’est si dur de se souvenir.
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| | | Jaina Administrateur
Nombre de messages : 2219 Age : 35 Date d'inscription : 26/06/2008
| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:28 | |
| Texte 1 : L'histoire du vieux dans l'histoire (partie2)- Spoiler:
Comme les pleurs l’étouffaient, il sortit de la case. Puis, Moïta l’aperçut qui repartait de ce même pas bancal, plus lourd cependant, avec lequel il entrait chaque matin dans la case depuis plus d’un an.
Moïta l’avait vu partir mais en vain le guetta-t-il les jours suivants. Le chien lui-même se posta en permanence à la porte de la concession. Moïta prépara pendant plusieurs semaines du thé chaud et bien sucré accompagné de pain frais. Au bar d’à côté, où il avait ses habitudes, on s’inquiéta aussi de son absence en lui réservant chaque matin une calebasse de la meilleure bière de mil au cas où il réapparaitrait. Peines inutiles. Le vieux ne revint pas. Du moins pas comme on aurait pu le penser raisonnablement. A croire que ce maudit crayon tout neuf n’avait servi qu’à le rayer définitivement de ce monde de misère. Moïta ne pensait plus qu’à ça, à la voix du vieux qui avait résonné si douloureusement dans son esprit, qu’il aurait voulu alors faire taire définitivement et qui, étrangement, lui manquait tant maintenant. Un vide qui le laissait inquiet et désemparé. Comment réparer le tort qu’il avait fait au vieux en refusant tout net de l’aider ? Car il sentait bien qu’il était la cause de sa disparition. Oui, comment revenir en arrière ? Il y réfléchit longtemps. Et la solution lui apparut subitement l’un de ces matins où la solitude sans bière de mil lui avait laissé la tête claire. Et comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, Moïta ressortit de leur cache le cahier et le crayon à bille tout neufs. Il savait assez de l’histoire du vieux pour l’écrire de bout en bout. Hélas, le cahier ouvert devant lui et le crayon en main, le même dilemme, qui avait fait fuir le vieux, lui tortura les méninges : par où devait-il commencer ? De tous ces malheurs à raconter, lequel méritait la place d’honneur ? Vraiment, il ne savait pas. Il resta ainsi plusieurs jours dans une expectative fâcheuse. Le dimanche suivant, jour du seigneur, une illumination l’éclaira avec bonheur : le titre ! C’était, sans conteste, le plus important et par là qu’il fallait évidemment commencer ! Quelques mots qui résumaient tout ! Par chance, personne ne vint le contrecarrer dans son projet. Aucun visiteur, le calme des dimanches d’ennui. Il cala donc le crayon tout neuf entre le pouce et l’index et s’appliqua à calligraphier de belles lettres comme le vieux le lui avait apprit quand il était un écolier borné, le dernier de la classe. Il s’arrêta vers midi pour reprendre sa tâche avec la même application le lendemain, puis le lendemain du lendemain et ainsi de suite…Et le cahier tout neuf s’usa naturellement à s’emplir chaque jour, page après page, des mêmes mots répétés, de mieux en mieux écrits : « L’histoire d’un vieux dans l’histoire... L’histoire d’un vieux … Il était presque parvenu aux dernières pages quand un jour, à l’heure de la sieste, une voix retentit entre les murs de la case : « Moïta, je suis là ! » La voix du vieux ! Plus décharnée que jamais et étrangement caverneuse et cependant parfaitement reconnaissable ! La voix du vieux, oui, mais sans le vieux, sans son corps ! Moïta se gratta la tête, incrédule, se couvrit les oreilles des deux mains pour savoir s’il ne déraillait pas. Dans le cas où cette voix ne parlerait qu’à l’intérieur de sa tête, et seulement dans ce cas, il se promit de ne plus jamais avaler la moindre petite calebasse de bière de mil. Mais quand il déboucha ses oreilles, la voix était toujours là, pas dans sa tête mais flottant dans l’air chaud et immobile de la pièce. Avec ça elle riait ! Riait de bon cœur, si on peut dire ça d’une voix dépourvue de corps. Un rire caverneux, presque joyeux comme le vieux n’en avait jamais eu quand il venait en entier voir Moïta. La plupart des gens, même courageux, auraient fui, la peur au ventre. Pas Moïta. Pourquoi craindre la voix des morts quand celles des vivants, jaillissant de gorges chaudes et palpitantes, sont souvent terribles, pleines de menaces qui ne tardent pas à se concrétiser ? Moïta resta donc coi, en attente de ce qui allait suivre. « Tu vois que tu peux, dit simplement la voix désincarnée du vieux, et puisque tu t’es si bien exercé avec le titre, tu dois maintenant terminer l’histoire. Je t’aiderai …» On ne résiste pas à une voix qui arrive tout droit du village des ombres. - Bon d’accord, dis-moi seulement par où je vais commencer ? Tu sais que c’est ça le plus difficile ? - C’est simple, remarqua la voix, parle d’abord de toi, le reste viendra tout seul… Et Moïta écrivit sur la première page du cahier tout neuf : « Je m’appelle Moïta. C’est le vieux maître d’école du quartier « Serre ta ceinture », (Ce nom-là c’est à cause des voleurs d’autrefois, ceux d’aujourd’hui n’en n’ont rien à faire des ceintures serrées ou non) bon, je reprends, c’est ce vieux qu’a été jeune en son temps, qui me demande d’écrire son histoire, ou plutôt c’est sa voix toute seule qu’est venue me visiter pour ce service-là … Avant, du temps où il était encore vivant et buvait de la bière de mil, le vieux voulait que je commence par ses malheurs seulement il y en avait trop, tant et tant que lui et moi on savait pas quel était le plus grand. Le problème est maintenant réglé. Par l’intermédiaire de sa voix, il dit qu’il aimerait mieux qu’on raconte l’histoire de sa vie quand il était heureux… Faut reconnaître qu’une vie ordinaire, même miséreuse, c’est moins intéressant malgré que ça fasse moins mal. Donc le vieux, qu’était alors un homme jeune plein de sève avec au dessus du tronc une calebasse bien remplie et solide était notre maître d’école. Il vidait ses connaissances inépuisables sur les élèves à petits coups de chicottes de manière à faire entrer dans leur propre calebasse tout ce qu’il faut savoir pour devenir quelqu’un de grand dans ce monde nouveau plein d’’espérance qu’on nous promettait depuis l’indépendance du pays… Moi aussi j’ai été gavé du mieux qu’il pouvait mais ça ne restait pas dans ma calebasse qui fuyait. C’est pourquoi je ne suis pas devenu grand comme les autres qui habitent aujourd’hui dans des belles maisons en dur et se font trimballer par des chauffeurs dans de grosses voitures. Le vieux ne m’en a pas trop voulu et en dehors du fait qu’il m’a traité d’âne quand j’étais sous la chicotte de son enseignement, il m’aimait bien. C’est pourquoi il m’a choisi personnellement, de son vivant comme après sa mort, encore que chez nous on ne meurt jamais, c’est bien connu et la voix ici présente en est la preuve, enfin il m’a délégué pour écrire sa vie parce qu’il trouve que je suis le seul de cette nouvelle actualité à pouvoir comprendre ce qu’il avait à dire… » Ainsi, Moïta avec l’aide de la voix écrivit ainsi chaque matin et aussi le soir sous la lumière de la lampe à pétrole quand il avait assez d’argent pour acheter le carburant. A la longue, le nouveau cahier tout neuf s’usa lui aussi jusqu’à la dernière page. La voix s’en alla car il n’y avait plus rien à ajouter. Comme il y avait encore un peu de place sur la page Moïta s’appliqua à calligraphier en belles lettres majuscules, le dernier mot de l’histoire : FIN.
Dernière édition par Jaina le Lun 16 Mar 2009 - 8:31, édité 1 fois | |
| | | Jaina Administrateur
Nombre de messages : 2219 Age : 35 Date d'inscription : 26/06/2008
| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:30 | |
| Texte 2 : L'histoire du magicien (partie 1)- Spoiler:
L’histoire du magicien
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonnait avec douleur dans son esprit. Charles se massa les tempes du bout des doigts. Voilà plusieurs jours que cette voix se faisait entendre ; c’était à devenir fou. D’ailleurs ses recherches corroboraient plutôt cette idée : le spectre de la schizophrénie flottait en filigrane dans chaque livre qu’il lisait. Les rares amis à qui il avait osé en parler lui avaient timidement conseillé d’aller voir un spécialiste. Pourtant Charles ne se sentait pas malade. Oh certes, c’était le cas de tous les aliénés, rares sont les fous qui se considèrent comme tels ; mais il était plus disposé à croire en une possession paranormale qu’en un éventuel dérèglement de son cerveau. Pour commencer, il y avait ce Bruneau Hayes… Oui, Hayes. Sa voix ressemblait vaguement à celle qui s’insinuait dans son esprit. Comment en être sûr ? Faisant un gros effort de concentration pour ne rien oublier, Charles se remémora sa rencontre avec cet étrange individu. C’était un soir, une ou deux semaines plus tôt. Charles s’était payé une place au spectacle de magie annuel du music hall de sa ville. Pour tout dire, il n’avait guère apprécié les numéros. En fait, il s’était ennuyé ferme jusqu’à l’arrivée de cet homme. Tout avait alors basculé ; ébahi devant ses prodigieux tours, il avait décidé de l’attendre à la sortie du théâtre. Bruneau Hayes approchait de la cinquantaine. Un lacis inextricable de rides parcourait son visage, lui donnant l’aspect d’un vieillard bien qu’il conservât une grande énergie physique. C’était un acteur-né : il se déplaçait avec une certaine grâce qui captait aussitôt l’attention du public. Lorsqu’il parlait, c’était avec emphase, accompagnant ses propos de grands gestes ; on retrouvait cette caractéristique jusque dans ses paroles, toujours très imagées. En homme de scène, il ne parut pas très étonné de découvrir un jeune homme l’attendant à la sortie de son spectacle, emmitouflé dans un gros manteau. Charles s’était présenté, ils avaient discuté quelques minutes puis avaient conclu qu’il serait plus confortable de terminer cette discussion au chaud ; ils avaient alors choisi pour refuge un petit restaurant au coin de la rue. C’est dans cette salle bien éclairée que le jeune homme entendit l’étrange histoire de ce voyageur hors du commun. Hayes avait roulé sa bosse un peu partout. De l’Argentine au Japon, il semblait capable de raconter une anecdote de voyage pour chaque pays du monde. Mais l’heure avançant, il fut temps pour eux de quitter le restaurant. Hayes pourtant ne semblait pas fatigué, il paraissait au contraire avoir encore mille choses à dire. Charles, ne demandant pas mieux que de l’écouter, accepta l’invitation du vieil homme à venir terminer la soirée par une collation chez lui. Il n’avait de toute façon rien de prévu pour le lendemain et le vieillard n’avait guère l’air d’un dangereux personnage. C’est ainsi qu’il se retrouva dans une des plus hautes demeures de la ville. Hayes venait d’emménager rue d’Auseil, une venelle tortueuse qui grimpait sur les hauteurs. C’était une rue très appréciée des touristes pour ses hautes maisons à colombages dont les encorbellements rapprochaient parfois les façades jusqu’à transformer la ruelle en un tunnel sinueux. Sa maison s’élevait au point culminant du quartier ; des fenêtres du dernier étage, on pouvait contempler tout le pays. L’intérieur était un vrai labyrinthe. Conçue par une succession d’architectes plus ou moins talentueux, la bâtisse s’était étoffée au fil des années de nombreux ajouts, jusqu’à se transformer en un imbroglio incroyable de pièces, une espèce de patchwork de styles et de pierres. Mais la maison était entièrement vide. Hayes lui expliqua qu’il venait d’emménager et que ses quelques affaires étaient pour le moment encore emballées dans sa chambre. Cette dernière se trouvait au dernier étage afin de profiter de la vue. Il possédait peu de chose et ses bagages se résumaient à deux malles encore fermées ; une troisième était ouverte, dévoilant ses divers accessoires de magies. En termes de meubles, il n’y avait qu’un lit dépenaillé, une grosse armoire et un vieux divan râpé sur lequel ils prirent place ; ainsi qu’une glace pour se raser, suspendue au bout d’une corde, près de la fenêtre. Par cette ouverture, restée entrouverte pour lutter contre l’odeur de moisi qui imprégnait les lieux, passait un léger filet d’air qui faisait osciller le miroir. La lumière du plafonnier s’y reflétait par intermittence, attirant inexplicablement le regard. Le miroir… la lumière… le miroir… C’est dans cette maison si énigmatique qu’ils reprirent leur conversation interrompue par la fermeture du restaurant. Le vieux magicien lui raconta alors une légende que même les vieilles du quartier avaient oubliée : — Cette histoire remonte à la période Gauloise, commença t-il. La voix de Hayes s’était faite plus grave, apaisante. Charles se sentait comme bercé par cette voix profonde qui lui contait des récits de temps oubliés. « César romanisait alors la Gaule et les druides avaient deviné depuis longtemps que leur peuple n’en avait plus pour très longtemps. L’un d’entre eux décida de mettre hors de porté de l’envahisseur une pierre d’une magnificence particulière. « Ce joyau était entre les mains des druides depuis un temps incommensurable. Les traditions orales s’accordent pour dire qu’elle fut le don d’un voyageur que les druides sauvèrent d’une terrible blessure due à un sanglier sauvage. D’où venait-il ? Nul ne le sait mais ses vêtements n’évoquaient aucune culture connue. Les descriptions qu’on conserva de lui évoquaient les tuniques assyriennes, une civilisation que plusieurs siècles et kilomètres séparaient pourtant des Gaulois. Mais la tunique brodée de perles, la ceinture large dans laquelle était engoncé un poignard courbe, le châle en laine et la barbe très noire rappelaient sans équivoque ce peuple du Moyen-Orient. « C’est en remerciement des soins prodigués par les druides que le voyageur leur offrit une pierre. Quoique ne parlant pas leur langue, il parvint à leur faire comprendre par gestes qu’elle leur permettrait de joindre les dieux en cas de nécessité. Les druides la conservèrent avec beaucoup de déférence mais jamais ne parvinrent à l’utiliser. Cependant sa beauté lui conférait une aura sacrée : il s’agissait sans aucun doute d’un objet d’une grande puissance et nul n’aurait songé à mettre en doute ses pouvoirs magiques. « Craignant que les romains n’en fassent un meilleur usage qu’eux, les druides décidèrent de la cacher en l’enterrant au sommet d’une colline. Cette colline même sur laquelle se dresse ma maison. Il est aisé d’imaginer l’état d’esprit dans lequel se trouvait Charles à ce moment là. Perché dans une des plus vieilles et des plus étranges demeure de sa ville, accompagné d’un vieux magicien aux connaissances si disparates… En fait, il se sentait tout disposé à croire en ses propos et ne douta pas le moins du monde de ses assertions. Il rentra chez lui en ayant l’impression d’émerger d’un rêve, la voix de Hayes résonnant encore dans sa tête, les fragments épars de son histoire se muant en images lointaines.
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| | | Jaina Administrateur
Nombre de messages : 2219 Age : 35 Date d'inscription : 26/06/2008
| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:34 | |
| Texte 2 : L'histoire du magicien (partie 2)- Spoiler:
Le lendemain, Charles voulut revoir le vieil homme et grimpa la rue d’Auseil pour venir toquer à sa porte. Il attendit mais aucune réponse ne vint ; il frappa de nouveau sans succès. Craignant qu’il ne soit arrivé un malaise à son nouvel ami, Charles alla frapper à la maison d’à côté ; cette fois une vieille femme vint lui ouvrir : — Bonjour ? fit-elle d’un ton bourru. — Bonjour, excusez-moi de vous déranger mais il y avait un vieil homme qui venait d’emménager dans la maison d’à côté. Je voulais lui rendre visite, cependant il ne répond pas. Savez-vous s’il est sorti ? Je crains qu’il n’ait eu un malaise… — Nan, il est parti. Y’a un camion qu’est passé ce matin, il a chargé toute ses malles dedans, et il est parti. Comme toujours. Charles fut un peu décontenancé par cette réponse. La vieille dame lui demanda si c’était tout ce qu’il voulait savoir, d’un ton qui laissait entendre que de toute façon sa coopération s’arrêterait là ; elle claqua ensuite la porte sans lui laisser vraiment le temps de répondre. Cet incident hanta les pensées de Charles pendant quelques jours, puis il en vint à l’oublier. Il n’y pouvait pas grand-chose de toute manière. C’est un peu après ces évènements que la voix commença à se faire entendre. Au début, il ne fit pas le rapprochement. Il chercha une piste médicale, logique. Pourtant plus il y pensait et plus il trouvait des similitudes entre la voix décharnée qui résonnait dans son esprit et celle du vieil homme. Se faisait-il des idées ? L’histoire si intrigante du vieillard faisait-elle travailler son imagination ? Les deux voix n’avaient pas les mêmes intonations mais cet accent grave et profond… Assurément il y avait quelque chose de louche. Charles décida de cesser d’y penser. Il s’assomma à coup de somnifères et plongea dans un sommeil sans rêve. Pourtant il ne pouvait toujours fuir la voix en dormant. Les jours passant, elle se fit plus insistante, plus précise : « La maison est vide… Cela ne lésera personne… Va voir dans la cave… Laisse-moi te guider… » Il tenta de l’ignorer, de s’occuper, de dormir mais rien n’y fit. Toujours elle revenait, tenace et obsédante. Fatigué, il décida de l’affronter. La cave ? La voix de Hayes ? Il n’était sûr de rien mais il voulait faire de la lumière sur ce mystère si épuisant pour ses nerfs. Un soir il n’en put plus, et s’emparant d’une lampe de poche, sortit de chez lui sans vraiment réfléchir à ce qu’il faisait. La rue d’Auseil semblait inchangée depuis sa dernière visite. Mal éclairée, Charles appréciait pourtant l’obscurité latente qui le protégeait des regards. Sans savoir pourquoi, il avait l’impression au fond de lui qu’il se comportait comme un voleur. Il allait entrer par effraction dans une maison ! Même si elle était vide, cela ne correspondait pas à son éducation. Il avait l’impression d’obéir aux ordres de quelque chose d’autre que sa conscience… Parvenu devant la demeure de Hayes, il frappa timidement, craignant qu’elle soit à nouveau habitée. N’entendant aucune réponse, il jeta un regard autour de lui et essaya de faire jouer la poignée. Magie ou piège ? La serrure n’avait pas été verrouillée. Jugeant qu’il serait suspect de rester à hésiter dans la rue, Charles rentra précipitamment et referma derrière lui. A l’intérieur, tout était calme. Une odeur de moisi flottait, rappelant les vieilles maisons depuis longtemps abandonnées. Le papier peint un peu jauni, la poussière et les toiles d’araignées, on n’eut jamais dit qu’un homme venait d’habiter là. Un instant, Charles se demanda s’il n’avait pas rêvé. Mais cette voix… « La cave… Laisse-moi t’aider… » S’il avait rêvé, alors il rêvait encore. Son instinct l’avait guidé ici, pourtant il ne pouvait être sûr que la cave dont parlait la voix était bien celle de la maison de Hayes ; il ne le saurait qu’en s’y rendant. Décidant de ne plus chercher à réfléchir, il suivit l’ordre de la voix et chercha un escalier permettant d’accéder à ce lieu qu’elle semblait si pressée de le voir atteindre. Il finit par en découvrir un, au fond d’une vieille cuisine, qui à en juger par son état n’était plus utilisée depuis de longues années. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant la vaste salle sur laquelle débouchait l’escalier ! Tout d’abord conçue comme un cellier, deux de ses murs avaient été abattus afin de permettre de creuser dans le sol de longues galeries s’enfonçant sous la colline. Sa lampe lui révéla que tout un matériel de mineur l’attendait sur divers tréteaux : lampes à acétylène, pioches et barres à mine… Les outils gisaient dans le plus grand désordre et en grand nombre, donnant l’impression que toute une équipe de mineurs avait déserté précipitamment les lieux. « Laisse-moi te guider… Equipe-toi… Le joyau que les Gaulois ont caché est tout proche… » Charles se sentait nauséeux. Cette voix lui vrillait l’esprit, l’empêchait de penser. Il avait le sentiment qu’elle le manipulait, qu’il ne devait pas lui obéir, mais il ne pouvait s’en empêcher. Plus il acceptait ses ordres, plus son emprise sur lui paraissait profonde. Refuser. Par un effort de volonté, il parvint à faire demi-tour. Il espérait pouvoir remonter à la surface mais Hayes se tenait au bas des escaliers, une lanterne à gaz dans la main. Charles n’eut même pas le temps de s’interroger sur les raisons de sa présence. Son regard fut aussitôt attiré par la lumière de la lampe que Hayes faisait clignoter en jouant négligemment avec le volet. La flamme scintillait : lumière… pénombre… lumière… pénombre… « Laisse-moi te guider… Va creuser… Trouve la pierre… » Lumière… pénombre… Charles allait à nouveau céder quand dans un flash, il revit le miroir accroché tout en haut de la maison, dans la chambre de Hayes. Ce miroir qui se balançait, faisant se refléter la lumière de la lampe : pénombre… lumière… pénombre… La voix perdit de sa puissance aussitôt qu’il eut pris conscience de cette similitude. Elle résonnait toujours dans son esprit mais dans un murmure presque inaudible. Devant lui, le visage décomposé, Hayes continuait à agiter le volet de sa lampe. D’une voix complètement atone, il essayait de tranquilliser Charles : — N’ai pas peur, regarde cette lampe. Elle va te guider, te montrer le chemin. Laisse-toi attirer… De toute la force de ses poumons, Charles se mit à hurler. Comprenant qu’il avait été hypnotisé, il se voila les yeux de sa main pour ne plus subir les tours de passe-passe de ce manipulateur, et cria pour ne plus entendre sa voix. Aveugle, il courut dans la direction supposée de l’escalier, bousculant violemment Hayes au passage; il sentit plus qu’il n’entendit le vieil homme tomber lourdement. Tout occupé à fuir, Charles ne se retourna pas et grimpa quatre à quatre les marches avant de traverser la maison en coup de vent. Une fois dehors, il s’accorda quelques instants pour reprendre son souffle. Il avait l’impression de revenir d’une longue course dans un monde lointain et ténébreux. La rue lui paraissait si familière, si accueillante, si éblouissante de soleil ! Dans sa tête, il entendit une dernière fois la voix, réminiscence fragile d’un souvenir sans force. Cela suffit à l’aiguiller et il rentra aussitôt en courant chez lui. Il avait réussi à se débarrasser de l’influence de cet homme. Hayes avait dû l’hypnotiser et lui donner des ordres pour qu’il aille retrouver la pierre de ses désirs. A partir de quand avait-il cessé d’obéir à sa propre volonté ? Etait-il allé voir le magicien de son propre chef à la sortie du spectacle ? Il ne devait pas être la première victime de cet individu. Le lendemain, Charles fit des recherches dans les journaux de sa ville. Comme il s’y attendait, il y découvrit plusieurs disparitions inexpliquées. Rien ne les reliaient à Hayes, seulement il ne pouvait s’empêcher de remarquer qu’elles avaient lieu chaque année à peu près à la même période ; c'est-à-dire à chaque fois quelques semaines après le spectacle de magie du music hall. Qui était cet homme ? Quelle était la part de vérité dans la légende qu’il lui avait conté ? En recollant les morceaux, Charles déduisit qu’il hypnotisait des spectateurs afin de les convaincre de venir creuser dans la cave de sa maison rue d’Auseil. Pourquoi se donner tant de peine pour faire paraître la maison abandonnée ? Tout semblait montrer que le vieux personnage ne voulait surtout pas qu’on sache qu’il tirait les ficelles de cette rocambolesque fouille. Ceux qui creusaient étaient sous l’emprise de l’hypnose, tandis que lui-même quittait toujours les lieux avant le début des fouilles, officiellement du moins. La voisine n’avait-elle pas précisé ‘comme toujours’, en parlant du camion qui avait embarqué les affaires de Hayes ? Ne sous-entendait-elle pas que ce n’était pas la première fois ? Restait à savoir ce qu’était cette pierre. Charles préférait croire qu’il ne s’agissait là que d’une énième démonstration de la cupidité des hommes. L’hypnose existait. Dans le fond, il n’avait rien vécu de paranormal ; tout n’était que légende et apparence. Il s’agissait d’un bête joyau. La légende accolé n’avait qu’été un moyen de le mettre dans un état second. Suspendu aux lèvres du narrateur, il s’était laissé entraîner dans le rêve, subjugué par la voix atone et grave de Hayes. Il s’était laissé charmer par les paroles du magicien, ne se souvenant que des détails rocambolesques qu’Hayes avait bien voulu lui fournir. Qui sait ce qu’il lui avait réellement dit ce jour là ? Charles frissonna à cette idée. Quant au miroir accroché dans la mansarde, il avait dû jouer le rôle d’un pendule ; ses reflets réguliers… L’affaire en resta là. Parfois en marchant en ville, Charles levait la tête, cherchant à apercevoir les pignons de la vieille maison rue d’Auseil. Elle restait là, se dressant haute dans le ciel, triste et fière. L’année suivante, il retourna au spectacle de magie. A chaque changement d’artiste, il sentait une poigne glacée lui tordre les entrailles ; mais Hayes n’apparut pas et les journaux n’annoncèrent aucune disparition. Enfin ! Tout était rentré dans l’ordre. Avait-il tué le vieil homme en le bousculant devant l’escalier ? La culpabilité le disputait au soulagement. Hayes lui faisait trop peur pour que son décès le peine vraiment. Il n’y avait que ce rêve parfois, de cités monumentales, colorées, à l’architecture persane. Il lui arrivait de rêver qu’il les visitait du temps de leur splendeur, quand la cour fourmillait de servantes aux cheveux noirs et aux tuniques brodées. Il visitait alors les cours somptueuses du Moyen-Orient ancien, s’égarant dans des catacombes oubliées ; mais il était attiré vers le bas. Une voix l’appelait irrésistiblement. Et tout en bas, toujours, il y avait le corps brisé d’un vieil homme blessé, gémissant, appelant au secours. Non loin de lui brillait une pierre, et ses bras se tendaient vers elle. Alors Charles refermait précipitamment la porte du souterrain et s’éveillait de ce cauchemar. Une bonne dose de barbiturique, et c’était oublié. Ce n’était que des rêves…
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| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:35 | |
| Texte 3 : Les Gardiens de la Terreur (partie1)- Spoiler:
Les Gardiens de la Terreur
« Tu sais comment faire... Tu connais le moyen... Laisse-moi t'aider. » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonnait avec douleur dans son esprit. Cette voix mille fois entendue dans ses rêves les plus noirs. Yän ferma les yeux. Il était là dans les bois sordides de Dreenal, alors que le soleil venait de se coucher. Mais il était trop tard pour reculer. « Tu as la clé ? », murmura une deuxième voix. L'adolescent frissonna. Il acquiesça d'un signe de tête, trop terrifié pour parler. La première voix reprit : « Laisse nous t'aider ! » Yän se passa une main sur le front tentant d'apaiser la douleur qu'avait éveillée la voix. Mais il devait se ressaisir. « C'est vous qui avez besoin de mon aide !, répliqua t-il sèchement. Une troisième voix s'éleva. Apaisante. Caressante : « Oui nous avons besoin de ton aide mais n'oublie pas que toi aussi tu as besoin de nous. Sinon pourquoi serais-tu là ? » Yän se tut. Il savait parfaitement pourquoi il était là. Au départ c'était une idée de Nat. Non c'était avant. Il y a environ un an. Quand on lui avait annoncé la mort de son père.
Yän ferma les yeux. Se réfugia dans le cœur de son être. Souvenirs.
Un cri déchira la nuit. Souffrance et tristesse infinies. Yän blêmit c'est sa mère qui avait poussé ce hurlement déchirant. Un sombre pressentiment l'étreignit tandis qu'il se précipitait vers sa maison. Il bouscula quelques-uns de ses voisins, qui avaient accouru au cri de sa mère. « Maman », cria t-il en la voyant prostrée à même le sol. Il voulut courir vers elle, la rassurer, la consoler. Quelqu'un le retint fermement par le bras. Yän se retourna. L'homme qui le tenait était enveloppé dans une longue cape pourpre aux contours élimés. Ses yeux brillaient d'une étrange lueur tandis qu'il observait le jeune homme. « Petit », commença t-il, hésitant. Sa voix profonde avait quelque chose de rassurant mais elle sonnait faux, ici, dans cette pièce, avec une femme qui sanglotait sur le sol. L'homme tendit la main. Un bijou scintilla à la pale lumière des chandelles. L'insigne de l'armée du soleil. Les guerriers d'élite de Valadar. Dont faisait partie le père de Yän. Une boule se forma dans la gorge du garçon. « Ton père est mort », lâcha soudainement le messager. Yän se sentit tomber. Il sentait qu'on essayait de le relever mais il ne s'en souciait pas. Plus rien n’avait d’importance. Plus rien n'existait. Tristesse. Désespoir. Deuil. Son père n'était plus.
Les jours suivants, Yän resta au lit la majeure partie de ses journées. La tristesse et le désespoir s'étaient transformés en une vague. Irrépressible. Une vague qui menaçait de le détruire à tout instant. Pendant des jours, Yän se servit de la minuscule étincelle de raison qui lui restait pour se protéger. Quand la douleur devenait insoutenable, il s'endormait ou s'évanouissait. Finalement, au bout d'une semaine, il sembla que Yän était complètement guéri. Pour éviter de retomber dans la mélancolie, l'adolescent redoubla d'efforts dans son apprentissage de la magie et du maniement des armes. Mais son esprit n'avait pas été apaisé. Un an après, la douleur revint. Implacable. Chaque nuit apportait son lot de cauchemars plus noirs les uns que les autres. Le jour, Yän errait sans but, tourmenté par des fantômes que lui seul voyait. Solitude. Folie. Ses proches le regardaient dépérir, de plus en plus inquiets. Nat, son meilleur ami, décida de l'aider. C'est cette décision qui faillit perdre tous les habitants de Valadar.
« T'as déjà entendu parler des Gardiens de la Terreur ? » Yän leva les yeux vers Nat. Celui-ci frissonna et détourna le regard. Depuis quelques jours, le regard de son ami avait changé. Il observait les choses sans les voir. Le regard vide d'un mort. « Non », répondit Yän après quelques secondes de silence. « Fais un effort, l'encouragea son ami, c'est maître Azarias qui nous en avait parlé, y a pas longtemps. - Maintenant que tu le dis, commença Yän, hésitant - C'était des mages si puissants qu'ils étaient capables de ressusciter un mort. Yän se leva si brusquement que Nat sursauta « Où sont-ils », demanda t-il d'une voix rendue rauque par l'émotion. Nat lui tapota gentiment l'épaule : « Ca personne ne le sait, mon vieux. Mais je me suis dit qu'on pourrait faire quelques recherches à la bibliothèque pour en savoir plus. » Yän acquiesça silencieusement. Son visage était illuminé par un fol espoir. Les jours suivants, les deux amis sillonnèrent Valadar à la recherche d'informations concernant les Gardiens de la Terreur. Finalement au bout d'une semaine, alors qu’ils se trouvaient dans la bibliothèque de Valadar, Yän jeta triomphalement un vieil ouvrage devant Nat. « Je crois avoir trouvé quelque chose ! ». Nat se pencha sur la page que son ami lui avait indiquée et lut à voix haute : « Les Gardiens de la Terreur sont trois mages qui comptent parmi les plus puissants d'Entellön. Pendant des années, ils défendirent Valadar aux cotés des mages rouges contre les assauts répétés des fées. Préoccupés par la sécurité de leur ville bien-aimée, ils se tournèrent vers d'autres formes de magie pour tenter d'accroître leur puissance. Cependant les magies qu'ils tentaient de s'approprier n'étaient pas destinés aux humains. Peu à peu, ils sombrèrent dans les ténèbres de la folie et du mal. Ils déchainèrent leurs pouvoirs contre Valadar. Heureusement les mages rouges veillaient. Ils s'opposèrent aux Gardiens et réussirent à les enfermer dans une sorte de prison magique. On dit que les Gardiens se trouveraient encore dans leur prison au milieu de la forêt de Dreenal. » Nat interrompit sa lecture. « Terrifiants », murmura t-il après quelques instants de silence. Yän ne répondit pas, même s'il partageait grandement les craintes de son ami. Mais en même temps... Les yeux du jeune mage brillèrent d'une lueur inquiétante tandis qu'il survolait la page du regard.
Les cloches de Valadar égrenèrent lentement les douze coups de minuit. Un hululement de chouette retentit dans le lointain. Un vent glacé souleva fit frémir les feuilles. Une silhouette encapuchonnée sortit de la ville. Le marcheur nocturne se retournait constamment pour vérifier s'il n'était pas suivi. Il finit par quitter la route et traversa les champs d'un pas alerte. À l'orée de la forêt de Dreenal, il marqua un temps d'arrêt avant de s'engouffrer entre les arbres. Une chaude lumière jaillit de sa main illuminant les alentours. Le voyageur continua de s'enfoncer dans le sous-bois. Au bout d'une heure de marche, il s'arrêta brusquement et tendit la main. Ses doigts rencontrèrent une barrière invisible. Un sourire se dessina sur son visage quand il vit un homme de haute taille avancer vers lui. « Qui es-tu ?, siffla le nouvel arrivant. Le marcheur frissonna. Peur et excitation mêlés. Il répondit d'une voix étranglée : « Je suis Yän Neyat. Je suis venu vous libérer. » Un silence irréel tomba sur la forêt. Puis un murmure se propagea d'arbre en arbre. Un hurlement retentit. Sauvage. Joyeux. Des yeux rouges se posèrent sur Yän. Un deuxième cri de joie se joignit au premier puis un troisième. Une ombre s'étendit sur la forêt et glissa jusqu'à Valadar.
- Concentre-toi, jeune apprenti. » Yän ouvrit les yeux. Cela faisait presqu'une semaine qu'il recevait l'enseignement des gardiens de la Terreur. Ces escapades nocturnes étaient devenues une habitude bien réglée. Parfois, il allait même jusqu'à les retrouver dans la journée. Keniawel lui apprit les mystères de l'air, Nèkfrër, les secrets de la douleur et Septanar les langages des esprits. Air, douleur, esprits. Pendant de longs jours, Yän s'initia à la sorcellerie. Cette sorcellerie qui avait marqué les gardiens. Ils ne ressemblaient à personne de Valadar. Leur peau noire, comme brulée par la magie. Leurs membres démesurés. Leurs griffes. Tout en eux évoquait davantage l'animal que l'être humain. Malgré leur apparence dérangeante, Yän s'était habitué à leur présence. Il n'avait pas le choix de toute façon. C'était le prix à payer s'il espérait revoir son père un jour. Assis sur une souche, il apprivoisait les esprits, jouait avec eux… Septanar, assis un peu plus loin surveillait ses progrès. Un sourire se dessina sur le visage du Gardien de la Terreur. Le moment était venu.
« As tu déjà entendu parler de la chaîne d'Oriän ? » Yän frissonna en reconnaissant la voix de Keniawel. - Non, répondit-il - La chaîne d'Oriän est un sortilège d'emprisonnement. L'un des plus puissants, en fait. - Celui qui vous tient enfermé ici ?, devina Yän - Exactement, reprit Keniawel avec un sourire carnassier, - Et j'imagine que vous avez besoin de quelqu'un qui lancera le sort qui brisera. - Exactement mais cela ne suffira pas. Les mages rouges pour être sûrs que nous n'aurions aucun moyen de nous échapper, ont enchanté une clé. La clé d'Oriän. C'est elle et elle seul qui nous permettra de sortir d'ici. - Et où se trouve t-elle ? - C'est les mages rouges qui en ont la garde. - Maître Azarias », murmura Yän pour lui-même.
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| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:37 | |
| Texte 3 : Les Gardiens de la Terreur (partie2)- Spoiler:
Yän marchait d'un pas rapide dans les rues de Valadar. Droit vers le palais. Il passa en coup de vent devant deux sentinelles et se dirigea vers une tour construite un peu à l’écart. Il monta quatre à quatre les marches grossièrement taillées. Il s’arrêta devant une porte vermoulue. Il actionna la poignée. La porte ne bougea pas. Le jeune mage eut un sourire et posa sa main sur la serrure. Il y eut un claquement sec et la porte s’entrebâilla. « Maître Azarias ? », cria Yän. Sa voix résonna longuement dans la pièce. Satisfait, Yän s’engouffra dans la pièce. « La clé d’Oriän ! », murmura t-il en s’approchant d’un présentoir où une clé dorée était délicatement posée. Au moment où Yän s’en emparait, une voix retentit : « Repose-ça ! » Yän pivota lentement vers le nouvel arrivant : « Du calme, Nat ! Je ne fais que l’emprunter », dit-il en souriant. Son sourire disparut, remplacé par un rictus de surprise. Les mains de son ami étaient auréolées de lumière blanche. « Tu vas utiliser ta magie contre moi ? - Si tu m’y forces je n’hésiterais pas une seule seconde. » Yän sourit. Un sourire de joie perverse, menaçant. Si menaçant que Nat recula d’un pas. Le sourire de son ami s’élargit. La douleur. Il était temps d’utiliser les leçons de Nèkfrër. « Qui es-tu pour te mettre en travers de mon chemin ? » Nat s’écroula et laissa échapper un gémissement. Les mains sur les tempes, il essayait de soulager la souffrance qu’avait éveillée la voix de Yän en lui. Celui-ci ricana, déclenchant une nouvelle vague de douleur, plus atroce encore : « Apprends la douleur ! », dit-il. Nat cessa de bouger, inconscient. Un mince filet de sang coulait de son front. Yän lui jeta un regard navré avant de l’enjamber et de sortir de la tour. Rien ne se mettrait entre lui et son père.
Yän ouvrit les yeux. Laissa ses souvenirs refluer, se déliter doucement dans la nuit. Face à lui, les trois Gardiens de la Terreur attendaient. Lentement comme à regret, il sortir la clé d’Oriän de sa poche. Un spasme de dégout le secoua quand il pensa à Nat. « Pose là devant-toi sur cette souche. », ordonna Keniawel. Le garçon s’exécuta. Après avoir déposé la clé, il se figea soudain, le regard vide. Laissa son âme s’envoler à la recherche des esprits, de l’air, de la douleur. De la magie. Ses mains s’illuminèrent. La clé brilla d’une lumière si vive que les trois sorciers fermèrent les yeux. Une détonation sourde se fit entendre.
La chaîne d’Oriän était brisée.
« Merci », chuchotèrent les trois mages, l’un après l’autre. « Contentez-vous d’honorer votre promesse. », répliqua Yän. Sans un mot, les Gardiens de la Terreur se mirent en cercle. Un vent glacé se leva sur la forêt. Des spectres aux yeux rouges passèrent devant Yän. Des animaux hurlèrent en proie aux affres de l’agonie. Nèkfrër, Keniawel et Septanar déchainaient les éléments. Leurs éléments. En transe, les trois mages psalmodiaient à mi-voix des phrases au sens caché. Au bout d’une heure, Septanar s’avança vers Yän : « Ton père est revenu à la vie » dit-il simplement.
Yän étouffa un bâillement. Cela faisait trois jours qu’il se postait à l’entrée de Valadar pour scruter l’horizon. Trois jours d’attentes vaines. Un voyageur s’approcha de Valadar. « Papa », cria Yän, incrédule. Il courut vers lui et se jeta dans les bras de son père. L’enfant et l’adulte restèrent ainsi enlacés pendant un long moment. Emotion. Joie infinie. Amour.
Les journées qui suivirent furent aux yeux de Yän, les meilleures de sa vie. Le vide qui emplissait son existence avait été brutalement comblé par le retour de son père. Mais les choses ne pouvaient se terminer ainsi. L’ombre de Dreenal continuait à s’étendre sur Valadar.
Un homme franchit les portes de la ville. Sa démarche était pesante, incertaine. Il effectua une quinzaine de pas avant de s’écrouler. Des passants accoururent. L’homme prononça quelques mots inintelligibles et retira sa main de son ventre. Du sang gouttait de ses doigts. « La forêt ! Ils étaient trois ! Ni humains ! Ni fées ! Des monstres ! », réussit il à articuler. Il cessa de bouger. Une salive mêlée de sang coula de ses lèvres.
Ce n’était que le premier d’une longue série d’assassinats. Chaque jour apportait son lot de cadavres sanguinolents. Les Gardiens de la Terreur tuaient tous ceux qui s’aventuraient trop près de Valadar. Sans distinction. C’est ainsi que le corps déchiqueté d’un enfant de dix ans fut rendu à sa mère. Un climat de peur régnait sur la ville. Plus personne n’osait sortir. Plus personne n’osait y rentrer. Un sentiment croissant de culpabilité rongeait Yän. Au bout d’un mois de terreur, il prit sa décision.
« Qui es-tu ? », cracha Nèkfrër à la silhouette encapuchonnée de rouge qui se tenait devant lui. « Je suis venu vous tuer ! ». La phrase avait été prononcée d’un souffle, chargée d’une telle détermination que les Gardiens de la Terreur frémirent. Une épée apparut dans les mains de celui qui les défiait. « Mage rouge ? », questionna Septanar. « Guerrier du soleil ! », répondit l’homme. D’un geste il retira sa cape. Yän. Les trois mages ne firent aucun geste, observant le jeune garçon, partagés entre perplexité et amusement. « Tu crois pouvoir nous affronter ? », finit par demander Keniawel. « Je suis venu vous tuer ! ». Encore cette voix. Déterminée. Effrayante. Yän inspira profondément. Et se jeta sur ses adversaires. Dès les premières minutes de combat, il fut en difficulté. D’étranges armes nées de la puissance de l’air l’assaillaient sans cesse. Des animaux aux allures fantomatiques se jetaient sur lui. Sur son flanc, une large blessure avait été ouverte par la magie de Nèkfrër. Les Gardiens de la Terreur, eux étaient indemnes. « Abandonne ce combat sans issue ! », lui enjoignit Septanar. « Jamais. », rugit il, en élevant son épée, prêt à frapper. Nèkfrër bondit et posa sa main sur la blessure du jeune guerrier. Une onde de souffrance aigue lui coupa le souffle. Il s’écroula. Nèkfrër se pencha sur lui. Les pensées de Yän s’envolèrent. Loin du combat. Loin de la souffrance. Loin de la peur de la mort. Elles s’égarèrent sur Nat, sur maître Azarias, sur sa mère et enfin sur son père. Un cri le fit émerger de sa torpeur. Quelqu’un sauta au-dessus de lui le protégeant de son corps. Nèkfrër s’écroula, la garde d’un poignard dépassant de sa gorge. « Je suis fier de toi, Yän. », murmura le nouvel arrivant. Yän écarquilla les yeux. « Papa », essaya t-il de murmurer mais le mot resta coincé dans sa gorge. Un guerrier du soleil. Il n’existait pas d’autre mot pour définir son père. Mortellement entrainé, rapide comme le vent. Ou presque. Une épée surgie de nulle part s’enfonça dans la poitrine du père de Yän. Le garçon poussa un cri étranglé, parfait écho du gémissement de douleur de son père. Celui-ci tomba à genoux. Leurs regards se croisèrent. Emotion. Amour. Souffrance. Message silencieux. Yän acquiesça d’un signe de tête. Son père eut un pâle sourire. Déjà, Septanar courait vers lui pour porter le coup de grâce. Le guerrier du soleil poussa un deuxième cri, cent fois plus terrifiant que le premier. Son épée fendit l’air. Trancha la gorge de son ennemi. Les deux combattants s’affaissèrent lentement sur le sol. Yän se releva et ramassa son épée. Keniawel se mit en position de combat. Yän ne lui accorda qu’un regard distrait. Il pointa son arme vers le soleil. « Mon père était guerrier du soleil ! », pensa t-il de toutes ses forces. « La magie nous vient du ciel. C’est les étoiles, la lune, les nuages et surtout le soleil qui nous offre leur force. », avait dit maître Azarias. Yän sourit. Ses mains s’illuminèrent. Puis ses bras. Et enfin son corps entier fut auréolé de lumière éclatante. Aveuglante. Keniawel hurla quand la lumière incandescente lui brula les rétines. Hurla encore quand de larges plaques rouges s’étendirent sur sa peau. Hurla quand il sentit son corps se consumer. Yän abaissa lentement son épée. Puis il retourna lentement vers Valadar. Des larmes brûlantes coulaient sur ses joues sans qu’il ne songe à les essuyer. Tristesse d’avoir perdu une nouvelle fois son père. Joie d’avoir vaincu les Gardiens de la Terreur. Sérénité.
Le gong de cuivre résonna encore une fois. Entouré de tout Valadar, un guerrier du soleil se préparait à son dernier voyage. Yän sourit tristement en voyant le visage si paisible de son père. « Merci », murmura t-il. Le garçon se tourna vers sa mère. Il attendit patiemment qu’elle arrête de pleurer et lui dit : « Les morts ne reviennent pas ! Mais je sais que Papa sera toujours là à veiller sur nous ! Quelque part au milieu des étoiles ! » La mère et le fils contemplèrent la voûte étoilée. Laissant leur peine s’envoler dans la nuit.
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| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:38 | |
| Texte 4 : Le voyage- Spoiler:
Le voyage
« Tu sais comment faire…Tu connais le moyen…Laisse-moi t’aider… »
Encore cette voix,toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonnait avec douleur dans son esprit.
Cette voix faisait encore écho au plus profond de son âme quand Mélisia daigna ouvrir ses paupières,faisant ainsi sombrer ses craintes dans l’oubli. Tout était fait automatiquement au réveil,sans aucun signe de vie chez la jeune fille.
« Mélisia,comment vas-tu aujourd’hui ? Comment fais-tu pour être si belle ? »
C’était sa voisine de tableau collège, Darlène et celle-ci tout comme les autres s’aplatissait toujours devant elle. En effet, Mélisia venait d’arriver en cours et comme à son habitude un jeune garçon vint l’aborder.
« -Mélisia quand te décideras-tu à sortir avec moi ?
-Je suis désolée mais je dois aller en classe… »
C’était les premiers mots qu’elle avait prononcés depuis son lever.
« La plus mignonne fille que j’ai jamais vue », soupira Charles après le départ de la fille.
Tous les garçons adoraient Mélisia,quels que soient leurs niveaux. Par contre, la collégienne ne s’en montrait ni particulièrement fière ni vraiment dérangée. Elle se contentait de sourire.
« Grégoire n’est pas mal non ? »
Sydonie venait de porter toute son attention sur le nouvel élève. Mélisia ne répondait rien. Le nouveau venu avait l’air de l’éviter et cela ne l’enchantait guère. Qui plus est,elle avait l’impression de le connaître ;élancé,les cheveux courts et bouclés,la peau brune,Grégoire était tout le contraire de Mélisia. Celle-ci étant plutôt petite,rousse avec des yeux bleus ;particularité qui faisait son charme.
En rentrant avec les habituelles lettres de déclaration,Mélisia entendit à nouveau ces mots. Toujours les mêmes. Mais cette fois,contrairement aux autres,elle se rappelât. Rien ne fut oublié. Ainsi se mit-elle à courir vers sa demeure,de plus en plus vite.
« Je me souvient !pensait-elle, cet horrible trou de mémoire a disparut !je vais en avertir… »
Mais elle s’arrêta, « il n’y a personne chez moi » chuchota t-elle. Puis,le noir complet voila ses yeux.
Étendue sur son lit, attendant le sommeil elle pensait à sa famille,l’ayant laissée pour partir à l’étranger afin de soigner sa sœur atteinte du cancer. Ils prenaient souvent des nouvelles de Mélisia ;celle-ci ne leur en voulait pas d’être partis mais elle se sentait toujours mal.
Rien ne vint perturber la jeune fille durant la nuit,aucune pensée,aucune voix.
Quand elle se leva au petit jour,elle se dirigea pour aller faire sa toilette. Elle ne prêta aucune attention à la taille démesurée de son lit,aux larges rideaux de dentelles qui décoraient les fenêtres de marbre dorées. Le parquet ciré de couleur brune ne l’intéressa pas non plus,seul le miroir sur pied décoré par une petite fée au dessus attira son attention. Le bois d’ébène qui cadrait le verre étant sensé lui renvoyer son image avait quelque chose de mystérieux. Lorsque Mélisia s’en approcha pour le contempler de plus près, le regard de la jeune fille se glaça. Au fin fond de l’objet de ses convoitises,la jeune fille eut tout le loisir de voir sa personne,étendue sur un lit qui lui était bien connu,les yeux clos,le visage blême,le teint livide. A cet instant,un cri strident se fit entendre dans l’enceinte du château.
La première chose que réalisa Mélisia à son réveil fut l’entente d’une voix fluttée qui l’agaçait, mais l’apaisait tout autant.
« Laisse-moi t’aider… »disait-elle
A ces mots,Mélisia se dressa comme un piquet,jetant des coups d’œil furtifs autour d’elle. La jeune fille s’était retrouvée dans ce lit jusque là inconnu et dans cette chambre grandiose qui ne lui apportait guère plus d’informations. Autour d’elle, des servantes s’agitaient ça et là de quoi donner le vertige. Deux minutes après, Mélisia était seule dans la chambre,ayant congédiée toutes les servantes,elle avait compris qu’elle n’était plus chez elle. Mais la seule chose qui lui importait était cette v…
« Tu me cherches ? »
Devant elle,juste entre ses deux yeux lui apparaissait un petit être,voltigeant à bras ouverts,un sourire moqueur accroché à ses lèvres.
« -Tu es une fée mâle ?murmura Mélisia au comble de l’étonnement
-Tu m’insultes là, s’écria le visiteur,je suis un elfe ! »
Mélisia trop étonnée pour pouffer de rire se contenta de cligner des yeux.
« Sa voix,est-ce donc celle que j’ai entendue tant et tant de fois ?se questionnait-elle. Non,elle est bien trop enjouée,bien plus flûtée,ce n’est peut être lui »
Avant que le soleil ne se couche,Mélisia avait appris qu’elle était une princesse,que son père s’en était allé à la guerre pour défendre son royaume,que sa mère était décédée et que son rôle se contentait à donner des ordres se faire protéger attendre le retour de son père et se marier. Elle savait aussi qu’elle se trouvait dans la période moyenâgeuse et que l’elfe en question était son porte-bonheur magique.
«- Je veux rentrer chez moi. Je n’ai rien à faire ici, aide-moi s’il te plait ! Tu as dit que tu voulais m’aider,tiens parole !
-Ne t’inquiètes pas,répondit l’elfe,je tiens toujours parole. Je t’aiderai à trouver ce que tu veux vraiment ,demain est un autre jour. et il se mit à sourire sournoisement»
Il avait passé la journée à lui répéter cette dernière phrase,inlassablement. «Je commence à en avoir assez,pensait-elle,on dirait qu’il se joue de moi. »
Sur le point de s’endormir,les yeux mi-clos, Mélisia entendit une voix, à peine audible,mais reconnaissable de suite à son tintement. Il s’agissait de son elfe qui lui disait « Ne t’inquiètes pas,je serai toujours avec toi,dors,dors maintenant… »
La douche froide qui réveilla Mélisia ce matin là la plongea dans un état tel qu’elle ne l’avait jamais connu auparavant.
« Où suis-je ?!cria t-elle en ouvrant les yeux,qui êtes vous ? pourquoi avoir fait cela ?! »
A la voir on savait qu’elle était complètement déboussolée. Autour d’elle en effet s’étalait une vaste prairie qui n’en était à vrai dire plus une. Des tas d’hommes en armure s’agitaient,grouillaient,fuyaient ou au contraire allaient vers le danger. Elle pouvait voir des arbres morts brûler à quelques mètres d’elle ainsi que des blessés à perte de vue.
« Oh catin !cria l’homme qui lui avait versé un seau d’eau sur la tête,va soigner les blessés ! L’ennemi à envoyé son dragon nos hommes périssent les uns par les autres. Va ! Les autres femmes sont déjà à l’œuvre ! Dépêche-toi ou meurs !
Mélisia,trempée,sanglotant,courut le plus loin possible de son inquisiteur, se rapprochant inexorablement de cette marée de sang .
« Mais où suis-je…continuait-elle de dire en pleurant,où suis-je… »
La nuit était tombée, Mélisia toujours dans le camp des mercenaires,avait commencé à penser posément à sa situation.
« Je me suis endormie avant-hier et pendant la nuit me suis retrouvée dans un château. Je me suis encore endormie,hier la nuit et me voilà au milieu d’une bataille sans nom. Donc,demain je serai ailleurs ! »
Mélisia avait sourit, elle avait compris que ce camp était tout aussi dangereux que le soi-disant dragon qui les avait attaqués. Les hommes la regardaient avec convoitise,leurs regards avaient quelque chose de malsain. Ainsi la jeune fille après la retraite s’était éloignée un peu pour s’endormir.
Le lendemain, Mélisia réveillée par les rayons du soleil observa avec intérêt son environnement. Elle constata avec horreur que rien n’avait changé.
« Oh non,je suis toujours à la même place, put-elle souffler,je suis en tain de rêver non ? »
C’est alors qu’elle remarqua l’absence de son elfe porte-bonheur. Elle l’appela,le chercha,pleura même mais rien n’y fit,il restait introuvable. « menteur,pensa t-elle,il avait dit qu’il resterait avec moi… »
Un mois s’était écoulé et la jeune fille avait réussi à rester en vie et dans un état convenable.. Dans les premiers temps elle frôla la mort,due aux épidémies mais surtout à cause des fréquents combats qu’elle ne pouvait éviter. Sa vie ainsi que celle des autres était jonchée d’épines ;en effet le danger venait aussi des guerriers qui s’occupaient d’elles. Maintes fois elle faillit se faire violer,ainsi restait-elle la plus seule possible. Mélisia réussit à se maintenir simplement grâce à une personne. Ayant sauvé un jour de la mort la jeune sœur du chef de mercenaires,Sissi, l’homme,Varguias l’a pris sous son aile. Plein de compassion pour un tueur,il s’occupa avec attention de Mélisia tout comme il s’occupait de sa sœur.
« NON !!!ne m’abandonne pas ! Je t’en supplie…NE NOUS ABANDONNE PAS ! »
C’était trop tard, Varguias avait expiré de son dernier souffle. Son visage était plein de tristesse à l’idée d’abandonner Sissi et Mélisia. Comment se débrouilleront-elles sans lui ? Ce fut exactement un mois et trois jours après l’arrivée de Mélisia dans le camp. L’ennemi avait été vaincu mais de nombreuses pertes étaient à déplorer. Le dragon devenu sauvage avait attaqué par folie et le jeune chef avait payé de sa vie la survie des quelques hommes restants. Mélisia pleurait,pleurait,pleurait encore. Ce monde était si injuste pour les Hommes ;les femmes.Sissi n’était encore au courant de rien. Pourquoi pleurait-elle ? Etait-ce pour elle,car dorénavant elle était seule et vulnérable, ou était-ce pour lui ? « j’ai honte de moi,chuchotait-ele sur la dépouille de Varguias,j’ai juste peur pour moi…que faire…que vais-je faire… »
C’est à ce moment que clairement,distinctement elle l’entendit. Cette voix décharnée, mystérieuse,elle lui parlait,comme si elle se situait juste sous ses oreilles.
« -Tu sais comment faire…dit-elle, tu connais le moyen…,et là, sous ses yeux il apparut
-Toi ! Toi qui m’as abandonnée !Qui m’as menti »
Devant elle,toujours comme à son habitude,voltigeant et souriant aussi. Pourtant, il avait quelque chose de différent.
« Il semble bien plus fatigué,on dirait que ses jours sont comptés,pensa Mélisia. »
« Laisse moi t’aider… »
Là un vent froid souffla et emporta tout sur son passage. Tout disparut devant les yeux de la jeune fille,laissant place à un vide indéfinissable. Puis une autre rafale plus puissante encore s’abattit sur Mélisia qui jugea bon de fermer ses yeux. Lorsqu’elle les ouvrit,elle se trouvait sur le chemin du retour,avec ses lettres de déclaration.
« Que s’est-il passé,murmura t-elle »
Elle eut juste le temps d’avoir une pensée pour Sissi. Non, elle ne pouvait pas l’abandonner,et pourtant quelle joie de reconnaître sa maison ! Elle courait maintenant en riant et riant encore. Le soir venu,elle refusa de s’endormir. Pourtant la lune fit place au soleil mais Mélisia était toujours chez elle. A son réveil,elle se sentait vide. Quand elle arriva dans son école,elle aperçut Sydonie qui marchait avec Grégoire. Maintenant elle savait. L’elfe,c’était Grégoire,cet elfe lui rappelait Grégoire. Mais que faire, il n’y avait même pas une once d’amitié entre eux. Plus le temps passait,plus Mélisia se renfermait sue elle-même. Elle avait pourtant tellement de chance. La solitude lui pesait, sa famille lui manquait et elle ne de trouvait aucun objectif. Là où ses amis cherchaient leur voie, leur futur métier, elle se contentait de sourire.
Mais un jour, « -Tu as choisi ? Tu sais ce que tu veux maintenant ? Dépêche-toi,je me meurs…
-Oui »
[…]
« -Vous savez que Mélisia Maltis est décédée ? Il paraît qu’on l’a retrouvée morte sur son lit. Il paraît même qu’elle souriait…
-C’est triste, qui aurait pu deviner une telle catastrophe…
-Oui mais il faut dire qu’elle était bizarre cette fille. Elle était jolie mais qui sait comment elle était vraiment. Si ça se trouve,elle s’est suicidée…
-… »
FIN
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| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:39 | |
| Texte 5 : L'Index du Diable (partie1)- Spoiler:
L'Index du Diable
« Tu sais comment faire…Tu connais le moyen…Laisse-moi t’aider » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonnait avec douleur dans son esprit. Cette voix, c’était par une matinée grise et pluvieuse que Jérôme l’avait entendue pour la première fois.
Il revenait du cimetière. Ce cimetière qu’il hantait presque quotidiennement, le regard aux aguets, s’assurant qu’il était seul, parcourant les allées comme une ombre, jusqu’à ce qu’il arrive à la septième, troisième tombe à droite, celle de Sandra. Marbre rose, fleurs fraîches, photo rieuse. C’était ça qui était le plus dur, ce sourire heureux pétrifié dans son écrin de marbre. Il restait là un moment, laissant toutes sortes d’images et d’idées lui traverser l’esprit. Songeait-elle déjà à la mort quand elle lui avait jeté ce regard d’incompréhension lors de leur dernière rencontre ? Il avait hésité, comme saisi d’un pressentiment, il avait été sur le point de prononcer les mots qui auraient tout changé. Et puis non. Il avait détourné la tête pour ne pas voir les larmes prêtes à couler. « Elle s’en remettra ! » S’était-il dit avec cette bonne conscience dont il faisait preuve à chaque rupture.
Il avait appris la nouvelle dans le journal, à la rubrique nécrologique. « Décédée dans sa dix-neuvième année ». Bien entendu, aucune allusion au suicide et pas question d’appeler la famille mais il avait compris d’instinct. L’histoire était tellement banale, tellement ressassée par la vie et les romans. La fille à peine sortie de l’adolescence, plaquée par le salaud en qui elle avait vu l’homme de sa vie. En sortant du cimetière, il avait bien failli se trouver nez à nez avec Madame Pagès, venue elle aussi se recueillir sur la tombe de Sandra, sa fille. Heureusement qu’il avait reconnu à temps son manteau noir et avait pu se dissimuler derrière un caveau, avant de s’éclipser en douceur. Quelques semaines auparavant, il avait croisé le regard de son mari, Bernard. Le mépris qu’il y avait lu ! Avaient-ils seulement idée, eux, le père, la mère, le frère, qu’il souffrait lui aussi, qu’il était malade de remord ? Il suffisait pourtant de voir sa mine, son visage émacié, ses cernes, son air hagard. Sans parler de sa démarche parfois aussi titubante que celle d’un ivrogne. Mais non, pour eux, il restait l’infâme, celui qui avait poussé Sandra vers la mort ; la plus terrible des morts pour cette famille de catholiques pratiquants. Il y avait encore peu de temps, il considérait Madame Pagès comme une grenouille de bénitier, mais maintenant quel droit avait-il de se moquer ? Après tout, si elle trouvait là un réconfort, si mince fût-il.
Etait-ce cette pensée qui par un cheminement inconscient avait guidé son errance à travers les rues de la petite ville ? Toujours est-il que l’église était là, devant lui, sa façade comme un visage austère, qui murmurait du bout des lèvres : « Entre ou n’entre pas, à toi de voir. Une église, c’est comme la foi, il faut être à l’intérieur pour comprendre. » Il hésitait. Sa mère l’avait emmené à la messe jusque vers l’âge de quinze ans, après quoi, il avait abandonné tout ça et se proclamait fièrement athée. Mais en désespoir de cause, un cancéreux est prêt à tout essayer. Lui aussi, c’était un cancer qui le rongeait, le pire des cancers. Rédemption, pardon, effacement des fautes, n’était-ce pas tout cela que promettait la religion ?
Il poussa la porte et entra à pas précautionneux. Il passa devant le bénitier sans un geste. Savait- il seulement encore faire le signe de croix ? Seules trois silhouettes silencieuses occupaient les bancs. Il s’assit dans l’un des derniers rangs et s’efforça de se laisser gagner par la sérénité du lieu. Ces voûtes, cet espace enchâssé, d’une autre nature que celui du dehors, tout cela faisait de l’édifice un immense coquillage, comme ceux dans lesquels on entend la mer. Qu’entendrait-il ici ? C’est alors que la voix se manifesta. Pas vraiment une voix à ce moment là d’ailleurs, mais il avait l’impression que « cela » voulait lui parler. Il venait de formuler un semblant de prière, quelque chose comme : « Qui que tu sois, fais que tout cela ne soit jamais arrivé… » Un sentiment de paix commençait à le gagner lorsqu’une douleur fulgurante lui déchira le crâne, comme si on le trépanait à vif, une vibration intense secoua son cerveau et se prolongea en un concert de grincements, qui se modulaient jusqu’à devenir presque une voix. Oui c’était ça, une voix qui tentait en vain de lui parler. Puis tout se tut mais des images apparurent, colorées et vivantes, avec une force hallucinatoire : le lit défait, Sandra, charnelle, corps impudiquement offert. Et puis…oh non, pas ça… d’un coup, la chair chaude et ferme qui se liquéfie… les orbites qui se creusent et s’emplissent de ténèbres… Epouvanté, Jérôme se leva d’un bond, bouscula les bancs, emplissant l’édifice sacré d’un fracas qui se répercutait en échos, comme un grondement de colère. Il se retrouva dehors, reprenant ses esprits sous la pluie froide. Etait-il vraiment entré ? Était-ce seulement son imagination ? Tout était pourtant si net encore dans son esprit…Je deviens fou, se dit-il, fou ! Il leva les yeux vers l’église. Cette fois la façade ne lui offrait qu’un visage fermé. De la pierre muette et rien d’autre.
« Ah Ah ! C’était un mauvais moment à passer…pas vrai ? » C’était lui que se parlait ainsi ? Non c’était l’horrible grincement de tout à l’heure, vraiment une voix à présent. Une voix désagréable, déplaisante, mais une voix quand même. Il se frotta le crâne : là, un point douloureux… Aucune bosse, aucune blessure, mais c’était comme on lui avait implanté une « puce », comme dans un film de Science-fiction. Là, sous le cuir chevelu, et plus profond encore, sous l’os, aux tréfonds du cerveau …ou de l’âme. « Tu sais, c’a été dur pour moi aussi, je n’aime pas du tout ce genre d’endroit ! » Là, le grincement s’égrena comme un rire, un ricanement sardonique. « Mais tu as bien fait de venir, il le fallait…pour la prise de contact… Et quelle bonne idée tu as eu de ne pas faire le signe de croix, sinon je n’aurais pas pu intervenir. Maintenant, ça y est nous sommes… comment dit-on ? Connectés, voilà, nous sommes connectés…. » La voix continuait son grincement ponctué rires atroces. Elle était intarissable, une pipelette qui ne vous laissait pas en placer une. Dans le crâne de Jérôme, c’était comme un brouillage radio. Impossible de penser, il se sentait dépossédé. Il se prit la tête dans les mains, ferma les yeux… Vrombissement, gémissements des freins, chuintement des pneus sur l’asphalte humide. Jérôme était planté au milieu de la chaussée. La voiture l’avait évité de justesse et s’était immobilisée quelques mètres plus loin. Le conducteur hurla une bordée d’insultes « cinglé… ivrogne, connard. » et s’éloigna.
Cet incident tristement banal le dégrisa. Plus de trace de la voix. Tandis qu’il revenait à son appartement, la pluie cessa, une échancrure de ciel bleu déchira la grisaille et le soleil inonda la rue. Jérôme se surprit à se trouver bien dans sa peau, ce qui ne lui était pas arrivé depuis trois semaines. Il se sentait comme un convalescent au sortir d’une grave maladie. La voix, les visions dans l’église, tout cela lui paraissait irréel. Il s’était laissé impressionner par la solennité des lieux. Ce moment de brève folie – il ne voyait pas comment le qualifier autrement – avait sans doute été salutaire en portant à leur paroxysme les tourments qui avaient suivi la mort de Sandra. L’abcès était vidé. Il allait progressivement reprendre pied dans la vie. Et pour commencer, remettre de l’ordre dans son appartement. Il lava la vaisselle entassée dans l’évier et passa soigneusement l’aspirateur. Demain, il s’attaquerait au courrier qui s’étalait pêle-mêle sur son bureau. Désormais, c’était clair, une page était tournée. Il se sentait même capable de penser à Sandra sans retomber dans ses affres morbides. Ce n’était pas la première fille qu’il plaquait. L’amourette avait été plaisante mais quand elle avait parlé de mariage et de présentation aux parents, il avait reculé. Un peu trop brutalement sans doute. Pas de sa faute si cette fille était aussi vulnérable. Et puis, s’il était coupable de quelque chose, il avait suffisamment payé avec ces trois semaines épouvantables, qui l’avaient mené au bord de la folie…
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| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:41 | |
| Texte 5 : L'Index du Diable (partie2)- Spoiler:
Il était épuisé, mais heureux à l’idée de la nuit de sommeil serein qui l’attendait. Il se coucha tôt et s’endormit rapidement d’un sommeil paisible. Il se sentit arraché à ses draps et propulsé dans la nuit. Une nuit opaque, compacte. Là, au dessous de lui, une trouée de lumière blafarde… une étendue grisâtre, un chaos de pierres…le cimetière…la tombe de Sandra ! L’instant d’après il était dans l’église, une église minuscule, entièrement occupée par un cercueil aux dimensions d’un lit. Et alors…Non ! Non ! Luxure et pourriture encore.... Il se réveilla, s’assit, le corps inondé de sueur. Allons, ce n’était qu’un rêve, un de ces cauchemars dont on sort pantelant mais soulagé de revenir à la réalité. Alors sa tête se mit à vibrer d’une migraine infernale : la voix, la voix, qui s’insinuait dans les moindres replis de son cerveau, qui emplissait tout l’espace de son crâne : « Tu m’as fait peur, hier ! Heureusement que j’ai pu détourner cette voiture ! Mais cette histoire m’a fait perdre le contact…j’ai bien failli ne pas te retrouver. C’aurait été dommage ! Je tiens à toi… je veux t’aider…écoute-moi bien ! Ensuite tu réfléchiras. Et tu décideras. »
D’où que vienne cette voix, des profondeurs de son inconscient ou des tréfonds de l’enfer, elle suintait la méchanceté, avec son ironie sadique. Décider réfléchir…avec ce foret qui lui fouaillait les neurones ! Comme pour lui répondre, la douleur diminua d’intensité jusqu’à n’être plus qu’une vague vibration à l’arrière de crâne. Puis la voix reprit, lacérant son cerveau mais lentement, une phrase, puis une autre, avec de larges blancs de répit, pour le laisser assimiler :
« Tu n’échapperas pas à Sandra, elle hantera tes nuits, elle pourrira ta vie… »
« Je peux t’aider. Là bas, dans ce lieu qu’il m’est interdit de nommer, tu as demandé que tout cela ne soit jamais arrivé…»
« Je peux t’exaucer. Il te suffira de dire oui… »
« Demain, va donc faire un tour du côté de chez les Pagès… »
Là-dessus, la voix s’évanouit. Jérôme se répétait l’étrange monologue... Il resta longtemps assis dans son lit, ressassant les derniers mots de la Voix. Quelle surprise lui réservait-on chez les Pagès ? Exténué, le corps rompu, l’esprit vacillant, il finit par se rendormir aux petites heures du matin. Cette fois, son sommeil fut lourd et sans rêve. Il fut réveillé par le soleil qui filtrait aux interstices des volets. Il était plus de dix heures. La chambre était encore pleine des angoisses et des miasmes de la nuit. Il s’habilla en vitesse, impatient d’échapper à tout cela. Il sortit et fit quelques pas dans la rue, ne pensant à rien d’autre qu’au soleil qui caressait sa peau et redorait de vie les pierres et les fleurs. Les bruits quotidiens, le ronronnement des voitures, l’aboiement d’un chien, un marteau qui frappait au loin, résonnaient joyeusement. Il s’aperçut que spontanément, il avait pris le chemin de la villa des Pagès…
Son pas se ralentit en abordant la rue. Tout n’était que silence. Rien d’étonnant, dans ce quartier cossu. Le cœur de Jérôme se serra en repesant à Sandra, qu’il avait plusieurs fois ramenée ici, dans les premiers temps, avant qu’elle ne vienne s’installer chez lui. Il s’arrêta devant l’épaisse haie de lauriers, cœur battant, gorge serrée. A travers le feuillage luisant, il apercevait les marches du perron, un bout de pelouse. Il attendit un moment, se crispant au moindre bruit. Une silhouette apparut en haut des marches : Madame Pagès. Elle lança joyeuse : « Sandra ! Tu peux venir m’aider ? » Cette femme avait perdu la raison ! La mort de sa fille l’avait rendue folle ! Alors du fond du jardin, fusa une autre voix, tout aussi gaie : « Je finis mon chapitre et j’arrive, Maman ! » Un frisson glaça le corps de Jérôme ; il s’enfonça les ongles dans la gorge pour ne pas hurler. Quelques minutes plus tard, Sandra apparut dans son champ de vision. Pas de doute, c’était bien elle ! Elle s’immobilisa une fraction de seconde et jeta un regard rêveur dans sa direction, comme si une pensée étrange l’avait troublée. Puis elle monta les marches et les deux femmes disparurent dans la maison.
Jérôme demeura sur place un moment, se repassant le film des instants précédents. « Qui que tu sois, fais que tout cela ne soit jamais arrivé… » Hé bien voilà, cette histoire funeste était effacé ! Il le devait à cette chose, cette chose à la voix si déplaisante, qui n’était à coup sûr ni Dieu ni un ange mais une puissance des ténèbres, Diable, Malin, Démon. Une créature qui ne donnait rien sans contrepartie. Et le prix était souvent très lourd. « Je peux t’exaucer. Il te suffira de dire oui » avait dit la voix. Jérôme n’avait pas dit oui, pourquoi avait-il été exaucé ? De retour à l’appartement, il se mit à marcher de long en large en proie à une curieuse sensation : celle de flotter entre deux mondes. Sandra était bien vivante et pourtant ses souvenirs à lui Jérôme, criaient le contraire. Et pas seulement les souvenirs, ce désordre dans l’appartement, le visage amaigri que lui montrait sa glace... Où était la réalité ? Comment savoir ? Il se précipita vers le bureau. Le journal ! Ce journal dans lequel il avait lu et relu les lignes encadrées de noir ! Ses mains agrippèrent si brutalement le papier qu’elles le déchirèrent. Rubrique nécrologique…Les mots…les mots étaient toujours là… « Sandra Pagès….décédée dans sa dix-neuvième année. » Il laissa tomber le journal et s’effondra dans un fauteuil. Quel était ce piège dans lequel il tournait en rond ? Folie ou autre chose… ?
« Non, rassure-toi, tu n’es pas fou ! » La voix, toujours cette voix immatérielle et moqueuse dont les mots le zébraient comme un fouet. « Je t’ai donné un échantillon de mon pouvoir ! Si tu avais demandé le pardon, ça n’aurait pas été de mon ressort. Mais ça oui…A toi de savoir si tu veux que tout soit effacé définitivement… Quand tu seras décidé, viens à la nuit tombée sous l’Index du Diable ! » Et dans un ultime ricanement, la voix disparut.
« L’Index du Diable », c’était ce menhir dressé dans un champ à quelques kilomètres de la ville. Son nom remontait au moyen âge et quantité de légendes drolatiques ou sinistres couraient à son sujet. Des images de son enfance surgirent dans l’esprit de Jérôme : sa mère, une femme à la foi profonde et naïve, qui lui racontait d’impressionnantes histoires tout droit sorties des veillées paysannes. Des histoires pleines de diables cauteleux, d’enfers rougeoyants et de malheureux hurlants, damnés à jamais, qu’il revoyait ensuite dans des cauchemars terrifiants. Il fallait qu’il résiste ; il ne se livrerait pas pieds et poings liés à cette chose, il se tuerait plutôt ! Pour se garder cette porte de sortie, il déposa un verre d’eau et un flacon de ces tranquillisants que lui avait prescrit son médecin. Dans la nuit, il fut réveillé à deux reprises par des cauchemars. Chaque fois, il réussit à se rendormir mais la troisième fois, son crâne commença à vibrer et la Voix le tortura pendant de longues minutes, rappelant sa proposition. Le silence revenu, il tendit la main vers les cachets mais son bras refusait de lui obéir et s’agitait de soubresauts, renversant verre et flacons. Il renouvela la tentative plusieurs fois, en vain. Alors, sans même penser à s’habiller, il sortit, gagna la rue. L’image de la rivière à l’entrée de la ville, envahit son esprit. Il la laissa s’imposer. Puisque la Chose lisait dans ses pensées, il allait ruser : il penserait très fort à la rivière, comme s’il voulait s’y noyer mais en filigrane impalpable, c’était vers une autre idée qu’était tendu tout son être : il se jetterait sous la première voiture rencontrée. Il était très tard, les rues étaient désertes mais pour arriver au pont, il fallait traverser une nationale très fréquentée. Il accéléra le pas, s’engagea dans un petit chemin, un raccourci qu’il connaissait. Il marcha, marcha… il n’aurait pas cru que c’était aussi loin. Enfin, il entendit le vrombissement des véhicules. Bientôt…bientôt tout serait fini ! Alors il distingua une forme massive dressée près de lui, plus noire que la nuit : le menhir, l’Index du Diable ! Il tenta de fuir mais une force l’immobilisait sur place. Il était piégé, prisonnier de cette Chose dont la voix lui taraudait le corps et l’esprit avec plus de force que jamais. « Tu allais t’égarer, heureusement que je t’ai remis sur le bon chemin ! On est bien, ici, non ? Idéal pour conclure notre accord ! Tu veux un monde où Sandra ne serait pas morte, c’est bien ça ? Tu sais comment faire…tu connais le moyen…laisse moi t’aider. Dis oui ! Dis oui ! Je ferai le reste ! Ah tu veux savoir ce que je te demande en échange ? Mais rien, vraiment rien, mon amusement, c’est tout ! Je suis joueur. J’adore redistribuer les cartes. Il y a une infinité de mondes dans le Monde. Une infinité de destins en attente. Je vais t’envoyer dans un monde où tu seras un autre Jérôme et elle une autre Sandra. Dis Oui !
Jérôme n’était plus qu’une masse de douleur et d’angoisse. Tous les tourments du monde se concentraient dans son être. En finir, n’importe comment ! Il hurla un OUI désespéré qui balafra les ténèbres…. *******
Jérôme regardait les cachets immaculés au creux de sa main, ce viatique pour le néant, comme une poignée d’hosties impies. Il ne voulait plus penser à rien, juste partir, s’effacer. Pas d’autre choix, rejeté qu’il était par l’amour humain et par l’amour de Dieu. Tout était si simple avant ! Sa foi était alors profonde, il avait la vocation. Ses années de séminaire le lui avaient confirmé et sa mère, cette femme si pieuse, était tellement heureuse ! Et puis au cours de vacances dans sa famille, il avait rencontré Sandra, une fille aussi belle qu’une madone. Ils s’étaient vus en cachette, ils s’étaient aimés passionnément. La culpabilité du début s’était vite effacée. Cet amour était si beau, comment Dieu aurait-il pu le condamner ? Après tout, c’était lui qui avait créé l’amour humain. Mais bien sûr, ils se marieraient, c’était indispensable. De retour au séminaire, il lui avait écrit en cachette. Il lui avait donné rendez-vous derrière la chapelle. Et là, elle lui avait dit que tout était fini. Sans ménagement, avec des mots blessants. Coucher avec un séminariste, comme elle avait trouvé ça excitant ! Mais le mariage pas question ! Il avait tenté à nouveau de s’absorber dans la foi mais Dieu ne lui répondait plus… Il ne voulait plus penser à rien ni à personne, disparaître, tout de suite. Il avait réussi à subtiliser le flacon de cachets à l’infirmerie. Dans un instant, il sombrerait dans la nuit. Il ne put s’empêcher de penser à Sandra. Eprouverait-elle seulement un soupçon de remord ?
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| Sujet: Re: Textes du 1er CIF ! Lun 16 Mar 2009 - 8:41 | |
| Texte 6 : Variations autour d'une voix- Spoiler:
Variations autour d'une voix
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonnait avec douleur dans son esprit.
Les mots résonnaient. Six mois après, ils résonnent encore.
La première fois, la douleur et la voix se sont mélangées. Elle s’est sentie anéantie, comme tétanisée. Elle n’entendait pas la voix autour d’elle, dans la pièce, elle l’entendait dans sa tête, dans ses neurones, dans ses fibres nerveuses. Elle résonnait en elle. Elle l’emplissait. Maintenant, il n’y a plus qu’un seul point douloureux dans son crâne, juste au-dessus de son oreille droite, très intense mais très rapide aussi. Juste le temps des mots.
La première fois, quand la voix s’est tue, elle a mis du temps à reprendre pied. Ce n’est qu’ensuite qu’elle s’est demandé si elle ne devenait pas folle. Et puis elle a pensé à Jeanne d’Arc. Comment ne pas associer la Pucelle à un cas pareil ? Elle est allée chercher son dictionnaire historique. Quand j’eus l’âge d’environ 13 ans, j’eus une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner et la première fois, j’eus grand peur. Elle sait aussi que Jeanne n’entendait pas Dieu directement mais saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Elle préfère l’idée des saints. Plus proches. Moins abstraits. Michel, Catherine et Marguerite. Sa voix à elle n’a rien de divin.
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonne avec douleur dans son esprit. A quelle fréquence apparaît-elle ? Elle n’est pas capable de le dire. Trop souvent.
Est-ce décharnée ou désincarnée qu’elle devrait dire ? Décharnée sans doute. Sa voix n’a pas de chair, pas de vie, pas d’âme même. Décharnée, désincarnée, déstructurée, déshumanisée, déplaisante. Non, pas assez fort ce mot là. Détestable plutôt.
Elle est chez elle, avec ses enfants et son mari. Elle est avec des amis ou des collègues. Elle reste en retrait, ne parle plus beaucoup, ne se sent pas en lien avec les autres. Elle pense à la voix. Pourtant, celle-ci n’apparaît que lorsqu’elle est seule.
Un matin, au début du phénomène, elle se lève. Elle sent le parquet tiède sous ses pieds, presque froid. Elle trouve des chaussons. Dans la cuisine, il y a beaucoup de lumière, une lumière de début de printemps. Elle se sent sourire. Elle prépare son petit déjeuner. En versant le café dans sa tasse, elle le regarde couler. Elle aime sa couleur. Elle rajoute du sucre et du lait. Elle sait que ce n’est pas très digeste mais elle ne peut pas s’en passer. Elle se prépare des tartines qu’elle trempe dedans. Elle se dit que c’est le moment qu’elle préfère, ces matins où elle ne travaille pas, où elle a le temps, où elle est parfaitement réveillée. Elle boit une gorgée de café. Il est plutôt fort, elle l’apprécie. Et puis, tout à coup, elle se souvient de la voix. Sa vision du monde bascule.
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… »
Est-ce que l’on peut l’exorciser ? Elle décide d’aller voir un prêtre bien qu’elle n’ait aucune culture religieuse. Elle ne va pas à l’église de son quartier mais dans la commune d’à côté où elle ne connaît personne. Elle prend son vélo, arrive sur la place du marché. La petite église est là, au fond, plus charmante que belle. Cet endroit ressemble à un village et elle s’en étonne à chaque fois. On est pourtant si près de Paris. L’intérieur est chaleureux et, comme il vient d’être restauré, ça sent encore la peinture. A l’entrée, un bureau avec une grande vitre en verre. C’est là que l’on peut rencontrer un prêtre. Pas de confessionnal. Elle trouve cela moderne. Pourtant, elle n’ose pas frapper, demander un rendez-vous. A la place, elle sort un euro et allume un cierge. Elle s’assoit et essaie de prier. Elle ne sait pas comment faire.
Elle décide de téléphoner au docteur Libelle, une femme psychiatre qui l’a suivie il y a cinq ans. Elle l’a sauvée. Une femme dynamique, drôle, pleine de bon sens. Elle prend son carnet d’adresse, le combiné, commence le numéro. Et puis elle raccroche. Elle imagine la tête du docteur Libelle quand elle lui dira : « J’entends des voix ». Elle n’a pas envie qu’elle la prenne pour une folle. Pas elle, surtout pas.
Elle prend un train de banlieue. Elle regarde les voyageurs. Elle se demande si quelqu’un d’autre entend des voix. Elle se sent si différente, elle en a assez, elle voudrait ressembler à tous ces inconnus, se sentir proche d’eux, se sentir comme eux.
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… »
Elle repense au docteur Libelle. Elle se souvient de ce qu’elle disait : les choses s’éclairent, font moins mal, s’apaisent lorsque l’on peut mettre des mots dessus. Elle en a fait l’expérience. Mettre des mots, mettre des mots. C’est drôle cette expression lorsqu’on la répète plusieurs fois. Et si elle pouvait mettre des mots sur le phénomène de la voix, si elle avait une explication, est-ce qu’elle l’accepterait mieux ?
Elle pense souvent à Jeanne d’Arc. Le personnage l’a toujours intriguée de toute façon. Cette femme a vécu des années et des années en arrière mais on a gardé tellement de traces de son histoire qu’elle paraît incroyablement présente. On a tant de détails du procès et tant de zones d’ombre aussi. Des mystères qui ne seront jamais résolus. Qu’est-ce qu’elle est allée dire au roi pour qu’il la croit ? Pourquoi a-t-elle remis ses habits d’homme en prison ? Et comment, d’ailleurs, peut-on brûler une femme parce qu’elle a mis des habits d’homme ? Au moins, elle, elle ne sera pas condamnée. Elle se dit que son bûcher est intérieur. Elle trouve l’image un peu exagérée quand même. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle souffre.
La nuit, elle dort mal, elle devient insomniaque. Quand elle en a le courage, elle se lève et va dans le salon. Les volets sont fermés. Elle peste contre son mari et ses petites manies. En faisant très attention à ne pas faire de bruit, elle les ouvre. Elle a des gestes très lents. Tout résonne dans le silence. Elle a besoin de voir la rue, les immeubles, les toits, les petites cheminées rouges, la gare. Elle a remarqué qu’elle reste allumée même lorsque les trains ne passent plus. Elle s’éteint à trois heures précises. Parfois, elle laisse la fenêtre ouverte en se disant que son fantôme aime la nuit. Elle l’imagine se faufilant dehors. Elle l’y encourage. Elle dit, en elle-même : « Va, va voir le monde ». Mais ça n’a jamais marché.
Fantôme. Au début, elle refusait ce mot, elle le trouvait vulgaire et déplacé. Trop commun. Trop simple. Il ne lui semblait pas convenir au phénomène. Elle se disait la voix. Dans sa tête, il y avait même des majuscules. La Voix. Et puis, petit à petit, le fantôme s’est imposé à elle. Fantôme, nom masculin. Pourtant, elle est sûre que le sien est féminin. Peut-on dire la fantôme ?
Elle plie un drap qu’elle ramasse sur l’étendoir. Bords contre bords. Elle s’applique tout en sachant qu’elle n’y arrivera pas. Au bout d’un moment, les bords vont se séparer. Le tissus est blanc, léger, doux. C’est toujours comme ça avec les vieux draps. Elle le voit devant elle et elle pense aux fantômes. Pourquoi les représente-t-on ainsi ? Il faudrait qu’elle aille chercher sur Internet. Elle range le drap, mal plié, comme d’habitude, et il va rejoindre la pile informe de son placard. Non, elle ne fera aucune recherche. Elle n’en a pas envie finalement.
A côté de son lit, les livres sont en désordre. Il y en a sur la table de nuit. Il y en a par terre. Elle décide de ranger. Elle fait deux piles : les livres à garder près d’elle et les livres à mettre dans sa bibliothèque. « Et celui là, je l’ai oublié… je n’ai pas fini de le lire… » Voix off de Denis Poladylès. Voix. Elle sent une contracture à l’intérieur de son corps.
Elle revient de chez le coiffeur. Sa tête lui plaît bien mais elle sait que, dès le lendemain, le brushing aura disparu et la coiffure aura une autre allure. Elle veut en garder une trace. Elle essaie de se prendre en photo. Elle se place devant sa glace, trouve le bon angle, appuie sur le bouton. Elle regarde le résultat. Autour d’elle, les objets sont nets, mais elle, elle n’apparaît pas. A sa place, il y a un halo de lumière. Le flash contre la glace sans doute. Elle se dit qu’elle ressemble à un spectre. Elle sent un soupir involontaire monter en elle.
« Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… » Certains jours, elle rêve que la voix lui raconte autre chose, qu’elle devienne un vrai fantôme avec une vie derrière elle. Elle rêve qu’elle lui parle de son passé, de ses secrets, de ses blessures. Elle la trouve tellement lassante cette phrase.
Elle regarde les photos affichées un peu partout dans son appartement. Ce ne sont que des vivants. Elle pense alors à la vieille carte postale, en noir et blanc, sur son bureau. Une carte achetée à Londres, à Camden Market. Une femme du siècle passé qui porte un chapeau à larges bords. Un regard déterminé et capricieux. Une bouche boudeuse et triste à la fois. Elle pense que ça ne peut être qu’elle son fantôme. La seule morte de la maison. A regret parce qu’elle l’aimait bien, elle déchire la carte en petits morceaux, les jette à la poubelle, descend celle-ci. Mais la voix ne se tait pas.
Elle navigue sur Internet. Elle tape « voix ». Il n’y est question que des sons qui sortent de la bouche. Alors elle essaie « entendre des voix ». Elle trouve que « ce n’est pas une maladie » et elle apprend que 5% de la population connaît ce phénomène. Mais après, l’article ne parle que de psychiatrie. Elle tombe également sur un forum où une internaute se fait du souci pour sa soeur. Celui-ci entend des voix qui lui conseillent de se venger et de tuer son père pour le mal qu’il lui a fait. Elle frissonne. Elle préfèrerait être la seule personne dans son cas.
Ce qui fait sa singularité, c’est qu’elle n’entend pas des voix mais UNE voix, et que celle-ci est très loin d’elle. Elle ne l’atteint pas dans le sens qu’elle ne la prendra jamais au sérieux. Elle lui pourrit la vie mais ça n’ira jamais plus loin.
Elle surfe encore sur Internet. Elle trouve le règlement d’un concours d’écriture. Il faut écrire, en 20.000 signes maximum, une nouvelle à propos d’un personnage qui entend des voix. Elle sent un relâchement à l’intérieur d’elle-même, une respiration, un soupir de bien-être cette fois. Elle n’a plus écrit depuis ses rédactions d’écolière et ses dissertations d’étudiante. Elle s’y met. Elle tape directement à l’ordinateur. Elle écrit le plus souvent possible, le jour, la nuit même. Elle trouve des prétextes pour s’enfermer dans son bureau. Elle commence ainsi : « Tu sais comment faire… Tu connais le moyen… Laisse-moi t’aider… » Encore cette voix, toujours cette même voix décharnée dont le moindre mot résonne avec douleur dans mon esprit. Puis elle raconte tous les petits détails de ces derniers six mois.
Elle écrit en marchant, en repassant, en rangeant la cuisine, chez elle, dans la rue, dans le train. Elle prépare les mots dans sa tête. Elle construit des phrases, elle recherche le rythme qui convient, elle choisit les sonorités qu’elle préfère. Sa tête est encombrée de ses mots et de sa petite voix intérieure. Elle ne se rend même pas compte que l’Autre ne se fait plus entendre.
Elle sait qu’elle ne peut pas gagner le concours. Son texte n’est même pas une nouvelle. Il y a bien un début, mais il n’y a ni progression ni milieu ni fin. Il y a bien un élément perturbateur mais pas de résolution. Tant pis, elle l’enverra quand même. Elle espère quand même la résolution.
Elle envoie son texte. Elle ne gagne pas le concours mais elle continue à écrire, pour elle. Elle parle encore de son fantôme, il y a des détails qui lui ont échappé. Et puis elle écrit sur son enfance, ses amours, ses enfants. Au bout d’un moment, elle est bien obligée d’avoir d’autres sujets que la voix. Celle-ci a disparu.
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